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της Ariel Wagner

Écoutons Mikis Theodorakis1) : « Une vielle amitié qui a fait ses preuves me lie à Guy Wagner », écrit-il en 2000, continuant : « Depuis 1973, quand pour la première fois les ‘Dix-huit chansons de la Patrie amère’ de Yannis Ritsos ont été jouées à Luxembourg et nous ont réunis, jusqu’à ce jour, nous avons vécu des années productives, mystérieuses, pleines d’une intensité unique…».

Ariel Wagner

Les poèmes de Ritsos, mis en musique par Mikis, ont été interprétés lors d’un concert organisé par Guy à Luxembourg. Il a entendu « La Marche de l’Esprit », en est ensorcelé et se détermine à faire connaître à ses compatriotes la musique du compositeur grec. Il obtient d’une collègue prof l’adresse de l’imprésario de Theodorakis à Paris où Mikis vit en exil depuis avril 1970 – la dictature sévit encore en Grèce. Il invite Theodorakis et ses musiciens à Luxembourg – sans avoir la moindre idée comment il va les payer : voilà Guy. La date du concert est fixée au 11 février 1973. Ferdinand Reiff, alors directeur du Théâtre Municipal, lui offre la salle gratis, Télédisc vend les billets, le concert affiche complet.

C’est un grand succès populaire – et unificateur : « Ils ont tous dansé ensemble, m’a-t-il raconté, les Maoïstes avec les Trotskistes, c’était incroyable ! » Mais rassembler, c’est le propre de la musique de Mikis Theodorakis, ce compositeur dont le message profond a toujours été : « Unissez-vous ». Lui qui a connu les horreurs de l’occupation par les forces de l’Axe pendant la deuxième guerre mondiale, les déchirements de la guerre civile grecque, l’infâme brutalité de la dictature des colonels, l’affrontement continu et coûteux avec la Turquie…

Le jour du concert naît une amitié, commence un dialogue entre les deux hommes qui va durer jusqu’au décès de Guy, en mai 2016. L’amitié s’approfondit et la conversation se poursuit à l’occasion de nombreux concerts de Theodorakis : en Grèce, après la chute de la dictature en 1974, en bien des pays d’Europe, en Amérique du Nord – et au Luxembourg : à Differdange, à Esch, ou lors de la création mondiale de son opéra « Electra » au GTL. Le dialogue joue un rôle essentiel dans les différentes éditions de la biographie que Guy consacre à Mikis, dont la première, « Mikis Theodorakis. Eine Biographie », paraît en 1983, lorsque Guy fonde, au Château de Bourglinster, les « Filiki », association dédiée à promouvoir l’œuvre de Theodorakis ; une édition française révisée et complétée (2000) et une traduction grecque (2002) vont suivre. Chaque chapitre termine par un « bilan », une conversation avec Mikis qui commente ou élucide les pensées et événements décrits.

Mikis et Guy se reconnaissent, se respectent mutuellement. Ils ont beaucoup en commun : Fidèles à leurs convictions, ce sont des hommes courageux, combatifs, qui puisent leur force et leur énergie dans la contestation ; obstinés, ils rejettent les compromis, refusent de céder dans la lutte constante pour le vrai, le juste.

En Mikis, Guy trouve une personnalité qu’il peut admirer, dont il partage les idéaux d’humanisme, de résistance, de fraternité. En Guy, Mikis trouve un frère d’armes loyal qui comprend ses idées, sa démarche ; un témoin engagé, dont la voix, la plume et l’action passionnées font gagner pour le compositeur un cercle d’admirateurs toujours grandissant.

C’est une rencontre d’âmes-sœurs – ou plutôt, d’« esprits-frères ».

Nous avons vu Mikis ensemble pour la dernière fois à Athènes, le 5 juillet 2015, le dimanche où les Grecs ont dit « Oxi » au plan d’austérité de la Troïka européenne. Malade au lit, il a quand même tenu à nous recevoir. Epuisé, il a souvent fermé les yeux ; mais de son sourire a jailli toute la lumière du monde.

Écoutons Guy Wagner2) : « L’amitié de Theodorakis est un des plus précieux cadeaux qui m’aient été offerts dans ma vie, et le fait qu’il m’a dédié sa dernière partition, la musique de scène pour ‘Médée’, en est le témoignage concret. Ma reconnaissance égale la profondeur de cette amitié. »

 

1) In « Petit prélude nocturne » à la biographie de Guy Wagner : « Mikis Theodorakis, une Vie pour la Grèce », Éditions Phi, 2000.

2) In « Hommage à Mikis Theodorakis, pour son 80e anniversaire », Éd. Centre culturel et d’éducation populaire de Differdange, juillet 2005.

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